Parler aujourd’hui du Nord-Pas-de-Calais en évoquant les enjeux culturels et le développement
économique fait immédiatement apparaître dans la conversation Lille 2004, capitale européenne de la culture.
Le changement d’image induit par cet événement, l’attractivité retrouvée de la capitale régionale, les externalités positives engendrées par ce succès ne permettent pas forcément de comprendre comment s’est opérée cette mutation qui est aujourd’hui couronnée par l’Unesco avec l’inscription au Patrimoine mondial de l’humanité de l’ensemble du bassin minier.
Rappel
La région a été profondément touchée par la crise industrielle des années 1970. La brutale mutation de l’économie a amené dans les cinquante dernières années la perte de trois cent soixante mille emplois industriels (mine, textile, sidérurgie). Au regard de cette crise, il y a vingt-cinq ans, les collectivités publiques du Nord-Pas-de-Calais, sous l’impulsion du conseil régional alors dirigé par Pierre Mauroy, ont fait le choix de mettre en œuvre une politique culturelle et artistique -le spectacle vivant, les arts plastiques, le patrimoine- comme vecteur de modernisation de ce territoire touché de plein fouet par la désindustrialisation, avec une grande attention à l’élargissement des publics et, par là même, avec l’ambition de redonner toute sa fierté à la population. Réappropriation de son histoire et création contemporaine comme piliers d’une reconquête sociale et économique.
Si aujourd’hui, il est admis que les activités culturelles sont devenues un relais important pour doper la croissance, à l’époque, le pari était osé. Il s’est traduit notamment par la qualification de nombreux équipements avec le soutien du ministère de la Culture. La région peut ainsi désormais s’appuyer sur un réseau important d’outils de production, de diffusion et de formation labellisés par l’État. Par ailleurs, ce territoire possédait des atouts de dimensions patrimoniales fortes : villes anciennes (Saint-Omer, Montreuil, Aire-sur-la-Lys, Bergues…), villes des deux reconstructions (Arras, Maubeuge, Cambrai, Dunkerque…), patrimoine campanaire, retables et orgues, ou encore, tout ce qui relève du patrimoine industriel (sites miniers, industrie textile, brasseries).
Aujourd’hui
Cette prise de risque des collectivités a placé les enjeux artistiques et patrimoniaux au cœur des projets urbains et de reconquête industrielle. Trois exemples frappants le démontrent. Valenciennes, dès le début des années 1990 a pris des initiatives fortes en matière de culture. Ce choix politique avec pour mot d’ordre « l’intégration par la culture et la culture pour tous » est allé de pair avec l’arrivée de Toyota. Cela s’est traduit par la mise en place d’un festival du film ; par un soutien à la création numérique ; par l’équipement de la commune en matière de nouvelles technologies en lien avec la Chambre de commerce et d’industrie -qui ouvre en 1988 Supinfocom, école supérieure d’informatique et de communication, pionnière dans la formation à l’infographie et l’animation numérique- ; par la construction d’un théâtre devenu scène nationale, symboliquement nommé le Phénix ; par l’agrandissement du musée des Beaux-Arts ; par la modernisation de la bibliothèque.
À Dunkerque, dans la même période, l’agglomération s’est engagée dans un projet urbain à double objectif : l’ouverture de la ville sur la mer par la reconquête de l’espace laissé à l’abandon depuis la fermeture des chantiers navals en 1987 -trente-cinq hectares et plus de trois mille cinq cints salariés licenciés- et la rénovation/densification du centre ancien. Au cœur de ce projet, les équipements culturels constituent un signal fondamental : du FRAC, implanté “dans et à côté” de l’AP2 (atelier de préfabrication n°2) véritable monument, lieu de mémoire, repère géographique et symbolique que la population a surnommé “la Cathédrale”, au learning center dédié à la ville durable dans l’ancienne halle aux sucres, tous deux dans le projet Grand Large, en passant par la restructuration complète du théâtre/scène nationale et les projets de rénovation du musée et de la bibliothèque au centre-ville (cf. La Pierre d’Angle n° 055).
Pour le territoire du bassin minier, il a fallu de la conviction, de la patience et de l’obstination pour parvenir à partager un objectif commun de protection et de valorisation du patrimoine, pour en faire un enjeu moderne d’attractivité, mais aussi d’art et de culture. L’inscription par l’Unesco couronne l’articulation des enjeux du patrimoine avec ceux de la présence artistique contemporaine. L’installation de lieux de création et de diffusion comme culture commune/scène nationale, le Boulon au Vieux-Condé, le Métaphone à Oignies, le Centre régional de la photographie à Douchy-les-Mines ou le rôle joué par les villes et pays d’art et d’histoire a entraîné une “autre” rencontre de la population avec son histoire et l’architecture minière, lui facilitant la réappropriation, sans nostalgie, donnant ainsi toute sa portée à l’arrivée du Louvre à Lens.
Demain
Au-delà de la volonté du Conseil régional de développer un partenariat fort avec les établissements publics muséaux sous tutelle du ministère (Louvre à Lens, Centre Pompidou “mobile” à Cambrai et Boulogne-sur-Mer, château de Versailles à Arras), ce qui permet à la collectivité de développer le concept de “région des musées”, il convient de souligner les enjeux que représente le concept de pôle “images” au regard des industries culturelles et créatives. Son ambition est de faire d’ici à cinq ans du Nord-Pas-de-Calais l’une des dix régions européennes qui comptent dans ce domaine.
Le pôle Images construit sa stratégie autour du triptyque contenu-interactivité-usages et s’est organisé selon quatre axes : cinéma et audiovisuel, animation, jeux vidéo et nouveaux formats. Bénéficiant d’une implantation sur trois sites, la Plaine Images à Tourcoing-Roubaix (plateau de recherche -Plaine Images Lab : visual studies- et réseau de formation -avec notamment la présence du Fresnoy, studio national de création des arts visuels-), la serre numérique à Anzin-Valenciennes (cluster de synergies dans les domaines des jeux vidéo, du design et de l’animation numérique, en lien avec les écoles du Supinfocom group -CCI Nord de France) et la Fabrique à Images à Aremberg, la volonté est de s’inscrire dans les opportunités offertes, en terme de développement industriel et économique, par la modification profonde, sous le double effet d’Internet et des nouvelles ergonomies, de notre manière de travailler, de communiquer et de consommer.
Ces quelques éléments de contexte pour le Nord-Pas-de-Calais montrent clairement que la contribution actuelle de la culture au développement économique est de manière croissante à la base de toute une série d’activités créatrices, qui gagnent à se développer en se regroupant sur les territoires. La culture ne se limite pas non plus à la seule attraction touristique, elle continue d’être un puissant levier d’intégration sociale pour des individus ou des communautés en difficulté, contribuant à ce titre à rendre le développement durable.
Antoine-Laurent FIGUIÈRE
action territoriale, ministère de la Culture